UN ARRÊT EXEMPLAIRE QUI FERA DATE
Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 28 juillet 2022 revêt une importance majeure et fera jurisprudence dans un domaine qui concerne tous les artistes rémunérés à la prestation et qui sollicitent un droit aux allocations de chômage.
Selon cet arrêt crucial, une prestation artistique peut être considérée comme rémunérée « à la tâche », « au cachet » ou « à l’acte » – et peut donc entrer en ligne de compte pour le calcul du nombre de journées de travail requis pour avoir accès aux indemnités de chômage – même si un contrat d’engagement ou un formulaire C4 contient des éléments concernant la durée ou l’horaire de l’activité.
L’ONEm refusait d’octroyer des allocations de chômage à un artiste (comédien) et se basait pour cela sur une interprétation de l’art. 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 « portant les modalités d’application de la réglementation du chômage ». Selon cette interprétation de l’ONEm, pour certaines des prestations effectuées par l’artiste, il existait « un lien entre le montant des rémunérations perçues et la durée du temps de travail » ; par conséquent, selon l’ONEm, ces rémunérations « ne correspondaient pas à la définition de la rémunération « à la tâche » au sens de l’art. 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 » ; donc, les prestations en question ne pouvaient pas être prises en compte pour la détermination « du nombre de journées de travail et journées assimilées » telle qu’elle est prévue par l’arrêté ministériel.
Rappelons la règle : pour se voir ouvrir le droit à des allocations de chômage, un demandeur de moins de 36 ans (par exemple) doit apporter la preuve de 312 journées de travail ou journées assimilées sur une période de référence de 21 mois avant sa demande. Lorsque le demandeur est un artiste et que ses prestations artistiques pendant cette période de référence ont été rémunérées « à la tâche » (ou « au cachet »), on applique une formule de calcul assez complexe qui permet de transformer les rémunérations brutes perçues en « journées de travail ou assimilées ». Par « rémunération à la tâche », on doit entendre, selon l’arrêté ministériel précité, « le salaire versé par un employeur au travailleur qui a effectué une activité artistique lorsqu’il n’y a pas de lien direct entre ce salaire et le nombre d’heures de travail comprises dans cette activité » (c’est nous qui soulignons). Autrement dit, des heures prestées dans le cadre d’un contrat qui mentionnerait un « salaire à l’heure » ne pourraient pas être prises en compte ; seuls sont admissibles les « cachets » forfaitaires pour une prestation. Pour justifier son refus des allocations, l’ONEm relevait que, pour les prestations de l’artiste qu’il refusait de prendre en compte, « les jours prestés sont (…) repris ainsi que la rémunération due par jour, ce qui revient à établir un lien évident entre la rémunération versée et le temps de travail de l’intéressé ». Donc, toujours selon l’ONEm, « à partir du moment où le nombre de jours de prestation est clairement délimité et qu’une rémunération fixe est prévue pour chacun des jours de travail, il ne s’agit pas de rémunération « à la tâche ». »
C’est le fond qui compte, pas la forme
L’artiste concerné, avec la collaboration de l’a.s.b.l. « Les Amis d’ma mère » et avec l’appui de son organisation syndicale (CSC), a fait appel de la décision de l’ONEm devant la Cour du travail. Celle-ci a réformé la décision de l’ONEm ; elle a considéré les prestations effectuées comme admissibles pour le calcul des « journées de travail ou assimilées » et a condamné l’Office à payer les allocations dues, assorties d’intérêts de retard. La Cour a rappelé que « lorsque la rémunération [de l’artiste] est liée, non à un nombre d’heures, mais à des journées de prestation, l’art. 10 [de l’arrêté ministériel] est applicable. En effet, dans ce cas, le volume horaire exact des prestations n’est pas fixé, et la prestation est donc forfaitaire ». Or, selon l’arrêt de la Cour, cela s’applique aussi lorsque, par distraction ou pour « des raisons étrangères à la nature des activités et à la réalité des prestations », les employeurs remettent des fiches de paie qui mentionnent un nombre d’heures de prestation : la jurisprudence de la Cour du travail est constante à cet égard. Et si, sur le formulaire C4, un employeur se trompe et coche la mention « contrat de travail à durée déterminée » (CDD) au lieu de la mention « contrat pour un travail déterminé » ? Eh bien, cela n’est pas de nature, dit la Cour du travail, « à établir l’existence d’un lien entre le salaire et le nombre d’heures de travail », pour autant que le formulaire stipule qu’il s’agit bien d’une « rémunération à la tâche (cachet) dans le cadre d’un travail artistique ». Comme le dit la Cour, « le fait qu’un travail soit conclu pour une durée déterminée signifie simplement que l’étendue dans le temps des prestations de travail est limitée ; cela ne signifie pas que le volume horaire des prestations est défini, et encore moins que la rémunération des prestations est fixée en fonction de ce volume horaire ». Autrement dit, plus que la manière dont les documents sont remplis, c’est la nature de la prestation qui est déterminante pour établir si celle-ci et si sa rémunération correspondent bien aux critères de l’art. 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.
Qu’on se le dise !
Jean-Jacques Jespers