le 17 avril, par Diana De Crop
photo: Le David et Goliath nouvellement attribué à Artemisia Gentieschi ©Courtesy Simon Gillespie Studio
Avril aurait dû être «son » mois de gloire à Artemisia Gentileschi ! Avec la grande rétrospective qui devait démarrer ce mois-ci à la National Gallery à Londres et l’accrochage en majesté de « son » David et Goliath.
Confinement oblige, elle devra encore attendre… Qu’en aurait-elle pensé, elle qui est peut-être morte de la peste lors de la grande l’épidémie de Naples?
Rare femme peintre dans l’Italie du XVIIe siècle et artiste à succès, Artemisia Gentileschi mena une brillante carrière internationale, auprès des grandes cours européennes. Tombée dans l’oubli des siècles, elle fut redécouverte par le célèbre historien d’art Roberto Longhi au début du XXè siècle. Mais les manuels d’histoire de l’art la cantonnèrent ensuite pour de longues années encore dans l’ombre de son père et de bien d’autres.
Enfin la lumière…
Quatre siècles après sa disparition, la voilà honorée pour sa peinture et qui retrouve « ses » toiles attribuées à tort d’autres. Il y a deux ans lorsque son David et Goliath a refaitsurface sur le marché de l’art, les experts chargés de sa restauration ont découvert et authentifié sa signature inscrite sur la lame de David. Et l’an passé, sa Lucrèce qui met en scène l’honneur d’une femme outragée, a été adjugée près de 4,8 millions d’euros à Paris, un record pour l’artiste.
Dans le sillage du Caravage
Aujourd’hui considérée comme l’une des figures majeures de la peinture baroque, Artemisia Gentileschi s’est imposée à une époque où l’œuvre des femmes peintres était souvent été ignorée ou attribuée à des hommes. Née en 1593 à Rome, elle appartient à la génération bénie des caravagesques. Elle n’a pas 20 ans quand Le Caravage meurt brutalement en 1610. Elle s’est formée à la peinture dans l’atelier de son père et a rapidement révélé son goût pour un naturalisme vigoureux, son talent d’anatomiste, sa science du détail et ses effets de clair-obscur parfaitement maîtrisés.
Sur la quarantaine de tableaux qui lui sont attribués, beaucoup magnifient les grandes héroïnes de l’histoire biblique, comme Judith, Bethsabée, Catherine d’Alexandrie ou Marie-Madeleine. Baignée dans la révolution caravagesque, elle représente souvent des scènes aux effets théâtraux, avec une volonté de frapper, de percuter, comme l’illustre, avec une rare violence, la scène de décollation de Judith et Holopherne, un de ses chefs-d’œuvre.
Quand la vie efface l’œuvre…
Si elle est aujourd’hui honorée pour sa peinture et non plus pour sa vie romanesque, -un peu comme le bouillant Caravage-, son art fut considéré à l’aune de son existence contrariée, ce qui a longtemps desservi son œuvre. Elle n’avait pas 20 ans lorsqu’elle eut à subir de plein fouet la publicité faite au procès que son père intenta à son violeur,- un de ses collaborateurs qui au lieu d’enseigner l’art de la perspective à sa fille abusait d’elle. L’affaire entachera à jamais la réputation d’Artemisia qui, déshonorée, sera mariée à un peintre florentin et quittera Rome.
Première femme à intégrer l’Académie
Installée à Florence, elle travaillera d’arrache-pied et sera à 23 ans la première femme admise à l’Académie de dessin. Elle comptera le grand-duc de Toscane parmi ses acheteurs et connaîtra le succès à 37 ans comme peintre de cour sous le patronage des Médicis puis en Angleterre. Son mariage raté la ramènera à Rome où sa vie continuera d’être bousculée. Elle voyagera à Venise puis se s’installera à Naples où elle animera un atelier. L’ambassadeur d’Espagne à la cour pontificale diffusera ses peintures jusqu’à Madrid. Elle rejoindra ensuite son père à Londres pour l’aider à achever des décors destinés au roi et au duc de Buckingham. Elle terminera sa vie à Naples où on perd sa trace en 1654.
© La main d’Artemisia Gentileschi, Pierre Dumonstier le Neveu (1625). British Museum
u nom de toutes les autres…
Savez-vous combien d’artistes femmes figurent dans les collections de peinture du Louvre ? À peine plus d’une vingtaine ! Dans le département des sculptures, on les compte même sur les doigts d’une main. Parmi 700 œuvres d’artistes femmes répertoriées dans la base Joconde, la très grande majorité s’avère être des dessins et des… miniatures. Tout un symbole !
Saluons donc ici l’œuvre et le parcours d’Artemisia comme un hommage à celles encore dans l’oubli. Et saluons aussi la mobilisation des historiennes, des directrices et directeurs de musée qui permet de réévaluer leur importance malgré des siècles de préjugés.
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