20 mars 2020 – par Diana De Crop
photo: Artemisia Gentileschi (1638-1639) Autoportrait en Allégorie de la peinture. Royal Collection Windsor
Pour commémorer les 100 ans de l’adoption du 19è amendement de la Constitution qui garantit le droit de vote des femmes aux Etats-Unis, le Baltimore Museum of Art (BMA) dans le Maryland achètera en 2020 … uniquement des œuvres de femmes ! Il y consacrera près de 2,5 millions de dollars. Il entend aussi réaménager plusieurs de ses galeries pour mieux mettre en valeur la parité et il envisage d’organiser une vingtaine d’expositions les mettant à l’honneur. Bien entendu , le musée continuera à accepter les œuvres d’hommes, mais sous forme de dons.
Il faut dire qu’on vient de loin, sur les quelque 95.000 pièces de collection figurant dans le musée, moins de 5 % seulement sont attribuées à des artistes femmes. Son directeur Christopher Bedford n’a pas manqué de relever le piquant de cette distorsion : le BAM a en effet été largement créé par des femmes ! C’est grâce aux sœurs Claribel et Etta Cone – des collectionneuses de Baltimore, amies de Gertrude Stein – et à leur amitié avec Henri Matisse que le musée abrite aujourd’hui la plus grande collection publique d’oeuvres de Matisse au monde.
Aux USA, d’après des enquêtes (*) qui ont analysé les catalogues de plusieurs grands musées américains, moins de deux artistes représentés sur dix sont des femmes. La proportion d’oeuvres acquises ces dix dernières années par 26 grands musées américains est tout aussi parlante, 11% seulement.
Il n’y a pas qu’au Baltimore Museum of Art ou en Amérique qu’on observe cette disproportion flagrante dans les collections des musées. Elle est partout dans le monde cette discrimination, à la fois consciente et inconsciente, vieille de plusieurs siècles, à des degrés divers et à quelques exceptions près. Pour quelques Louise Vigée Le Brun, Sonia Delaunay, Frida Kahlo, Louise Bourgeois, Mary Cassat, Berthe, Morisot ou Camille Claudel,… combien d’invisibles encore à exhumer !
Mais ça commence à bouger. Des efforts sont menés pour réhabiliter la création féminine et pour rectifier le déséquilibre dans le monde des arts et des musées. Depuis une dizaine d’année, les rétrospectives des grandes artistes modernes se multiplient après avoir été longtemps ignorées. Pour ne parler que de la Belgique, citons en 2018 au Musée Rops à Namur « Femmes artistes. Les peintresses en Belgique » et Gand qui avec « Les dames du Baroques » a mis en lumière Sofonista Anguissol, Artemisia Gentileschi et 6 autres grandes femmes peintre dans l’Italie du XVI et du XVII. Ou encore tout dernièrement la Belfius Art Gallery qui avec « Women-Underexposed » rendait hommage à la force et à la persévérance des femmes en tant qu’artistes. Et en ce moment en France au Musée Soulages à Rodez «Femmes années 50. Au fil de l’abstraction, peinture et sculpture », où l’abstraction se décline au féminin. Son directeur et commissaire d’exposition Benoît Decron en résume bien l’intention, permettre d’exhumer des artistes femmes qui ont eu leur part de succès dans les années 1950 et qui, depuis, ont perdu toute visibilité.
Espérons que ce geste du Baltimore Museum of Art fera boule de neige, et que partout ailleurs une prise de conscience s’opèrera pour une meilleure représentation des artistes, autant en matière de genre que d’origine ethnique. Un mouvement aussi salutaire que nécessaire. Aussi pour notre plus grand plaisir à tous…
(*) Etude publiée en 2019 qui analyse dans la revue scientifique Plos-On les catalogues de 18 musées américains majeurs qui montre que 87% des artistes qui y figurent sont des hommes. Enquêtes de la compagnie Artnet et du podcast In Other Words qui portent sur les années 2008 à 2018 et qui calculent que sur les 260.470 œuvres acquises par 26 grands musées américains, 29.247 seulement étaient produites par des femmes, soit 11% ! Autres sources : Sources : La Libre Belgique,, Le Figaro, Le Journal des Arts, L’œil.
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